L'empire de M. Kuroda
Lunettes
dignes d’IM Pei, bouc emprunté à Dali et gouaille d’Arletty, Toshiro Kuroda,
est un drôle d’oiseau de la planète Japon à Paris. Ancien journaliste devenu « épicier à temps plein et limonadier
sporadique », il s’est lancé il y a sept ans après
des années à partager la même cantine japonaise que Kenzo. Quand
l’établissement bat de l’aile, « j’ai
repris le bahut, Kenzo a gardé le cuistot…
»
Pousser
la porte du Workshop Issé, le navire amiral
de son petit empire culinaire près de la place de la Bourse, est une belle
aventure. En plein cœur du quartier nippon, à un jet de bambou de la rue
Saint-Anne et de notre ancien immeuble, Issé est une épicerie fine, un
restaurant, un atelier de cuisine et une cave à saké. Tout à la fois, oui
madame ! Et autour, gravitent trois autres restaurants, dans un rayon de 500
mètres: Isse (per se!), Bi Zan et Momo No Ki...) Au Workshop Issé, tu entres et
tu ne sais plus où donner de la tête, des yeux, du nez… un peu comme la
première fois où tu débarques à Pearl River, de ton côté de l’Atlantique… Sauf
qu’Issé est loin d’être un bazar, même si quelques ustensiles « kawaï »
peuplent les meubles de l’entrée (une râpe à gingembre en porcelaine, des
boîtes à bento laquées ou des « mini lunch boxes » pour trois sushis rose
layette!)
A
midi, on peut déjeuner attablé au bar ou autour d’une grande table commune en
bois. Pour un chouya plus qu’un ticket-restaurant (remember ?), le menu
change tous les jours. « De
la cuisine familiale » dit M. Kuroda. Des tempuras, souvent des
légumes, du chaud, du très beau et rarement du poisson cru mais tu trouveras
sur les étagères environnantes du chlorure de magnésium, ingrédient
indispensable pour faire toi-même… ton tofu ! Vinaigre, prunes marinées,
biscuits, algues, thé et saké, une boisson délicate qui se boit pendant les
repas et qui n’a rien à voir avec le breuvage infâme qu’on te sert tiède dans
des petits bols coquins après ingestion d’un riz cantonais trop cuit…Le saké,
c’est du riz, de l’eau et du koji, le champignon qui permet sa fermentation.
Plus les grains de riz sont polissés, plus l’eau est pure, plus le saké est bon
(et coté, les bouteilles vont de 25 à 252 euros).
Ici,
tous les produits sont sélectionnés par M. Kuroda et son épouse. Le
portrait-robot est strict : vingt employés maximum et une histoire de deux
siècles minimum. Ça te situe à peu près le niveau d’exigence... Installé à
Nagoya, l’un de leurs founisseurs de saké refuse d’utiliser l’eau du cru,
polluée selon lui par les usines Toyota. Alors toutes les semaines il part en
camionnette dans les Alpes japonaises chercher une onde idoine. Côté acheteur,
même topo : au total, plus de quarante étoiles font leurs emplettes dans la
petite épicerie attenante (Hermé, Ducasse, Mellet…et nous ;-))
Je
t’exposerai un jour la théorie de M. Kuroda sur le vin, « une vraie Parisienne qui crie beaucoup
» aux antipodes du saké « une
Japonaise suave et docile d’apparence mais tellement complexe dedans
»… Tout un programme… En attendant, dégustation !
Et
toi, tu bois quoi ?